Trésors et artistes

barre chateau boulart

Le palais sera le reflet du faste du Second Empire. Les matériaux les plus prestigieux sont sélectionnés (marbres, bois précieux, pierres, vitraux, mosaiques…) et des artistes de toute l’Europe interviennent pour réaliser de véritables chefs-d’oeuvre (vitraux, mosaïques, peintures).
Les têtes couronnées européennes y sont reçues (la reine Victoria en 1889, le roi de Suède Oskar II, Édouard VII…) ainsi que des personnes illustres et des artistes.

Une architecture savante

La commande de Charles Boulart est claire : sa Villa doit surpasser toutes celles qui l’environnent par sa grandeur, son luxe, son élégance, son originalité, et l’architecte Duc jouit d’une grande liberté. Fort de ses cinquante années d’expérience, il mêle avec virtuosité la beauté inspirée de l’Antiquité et de la Renaissance à la majesté des perspectives et au désir d’animer les volumes, tout en veillant à s’adapter aux contraintes du site et à intégrer le confort moderne.

Sa composition en plan est remarquable. La complexité du programme transparaît à travers tout l’édifice : une véritable mise en scène est créée à partir de l’escalier voûté qui s’ouvre dans l’espace somptueux de l’atrium s’élevant sur trois niveaux jusqu’à la coupole. Et les quatre façades, abandonnant toute symétrie, offrent chacune une physionomie différente grâce aux saillies qu’elles présentent ‒ balcon, tour, perron, loggia ou bow-window ‒ et qui apportent du mouvement à l’ensemble.

Les matériaux – marbres, pierres, bois précieux ‒ ont été choisis aux meilleures sources en France et en Europe pour être mis en œuvre et combinés harmonieusement par des artistes et artisans au sommet de leur art.

La Folie Boulart se pare ainsi d’un décor raffiné, reflet des fastes du Second Empire : colonnes, sculptures dans la pierre ou le bois, vitraux, mosaïques, peintures, plafonds à caissons et boiseries, dorures, marqueterie, plomberie d’art…
Les façades sont bâties en moellons de marbre rouge : un luxe qui place d’emblée la construction à un niveau exceptionnel. Extrait de la carrière d’Ainhoa, à une trentaine de kilomètres de Biarritz, ce marbre prend selon l’heure du jour des teintes plus ou moins chaudes. Sa splendeur est discrètement mise en valeur par les encadrements, balustres et éléments en pierre blanche de Crazannes et soulignée par les soubassements, chaînes d’angle et socles en marbre Sainte-Anne d’Arudy. Les escaliers sont en pierre de Belvoye. Au-dessus des fenêtres et portes, visages souriants ou grimaçants, têtes de lion, coquilles, rameaux, cornes d’abondance, font vivre cette harmonie marbre-pierre.

Lors de la restauration, la façade nord qui s’ouvre vers l’océan a réservé une surprise remarquable. Le porche néo-Renaissance qui surmonte l’escalier d’honneur est encadré par deux personnages féminins symboles du printemps et de l’automne, des sculptures de grande qualité masquées depuis plusieurs décennies par une gangue de béton !

Les vitraux, un maître verrier virtuose

Au cœur de la volée d’escalier de La Folie Boulart s’ouvre une fabuleuse perspective. Par la magie d’un vitrail en trompe-l’œil raffiné, le regard se perd dans l’illusion d’un jardin de treillage avec guirlandes de fleurs, arcades et végétaux ; au centre du patio, une fontaine. Jardin de la Renaissance ou bosquet du Grand Siècle, décor onirique auquel la précision de la perspective donne de la profondeur et du relief.

Cet extraordinaire vitrail en triptyque, joyau du château, miraculeusement conservé dans son écrin d’origine, est l’œuvre d’Eugène-Stanislas Oudinot de la Faverie qui le signe en 1881. Si ses teintes ont été adoucies par le temps, il garde les marques d’une délicate polychromie que les rayons du couchant – le vitrail habille la façade ouest – font encore flamboyer.

Peintre verrier de la ville de Paris, Oudinot de la Faverie a appris l’art du vitrail chez le maître Georges Bontemps et la peinture dans l’atelier d’Eugène Delacroix. S’inspirant du Moyen Âge et de la Renaissance, il crée des vitraux pour des lieux de culte, Notre-Dame des Champs, Saint-Pierre de Chaillot, la cathédrale de Beauvais, la synagogue de Dijon… Puis il se consacre au vitrail civil, apparu récemment dans l’art décoratif, et obtient une médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1878.

Les commandes privées se succèdent : la demeure de Maupassant à Étretat, celle de Marcel Proust et, en 1879, l’hôtel particulier de Camondo à Paris où apparaît, en costume Renaissance, « Le comte de Camondo recevant de l’architecte Destors les plans de son hôtel » sous une tonnelle enguirlandée de vigne. Un vitrail conservé au Musée d’Orsay.

Esprit innovateur, Oudinot a mis au point une technique d’émail brevetée en France en 1879 puis aux Etats-Unis en 1882 qui donne au vitrail un aspect précieux et le transforme en un écran translucide dissimulant la vue de l’extérieur sans nuire à la lumière : une fois le carton décalqué, le verre, peint à la grisaille ocre, subit une première cuisson ; après la pose d’un émail bleu, il prend un aspect glacé et poudré favorisant la dispersion de la lumière.

C’est avec la parfaite maîtrise de son procédé que l’artiste crée à Biarritz le chef-d’œuvre de La Folie Boulart, cet étonnant triptyque. Les cartons qu’il décalque sur le verre sont attribués au célèbre architecte américain Richard Morris Hunt. Sa technique et de telles architectures de treillage se retrouvent ensuite à New York où, en 1883-1884, Oudinot crée cinq verrières en trompe-l’œil pour la demeure du banquier Henry Gurdon Marquand dont les plans ont été précisément dessinés par Richard Morris Hunt. L’une de ses verrières est conservée au musée de la ville de New York.

Autre contribution majeure d’Oudinot à la lumière chatoyante qui baigne l’’atrium de La Folie Boulart : les huit paires de vitraux du tambour de la coupole. Dans un style très différent du triptyque accentuant le caractère Renaissance de l’architecture, Oudinot reproduit ici un motif médiéval dit « en cuir découpé » ‒ un motif très prisé durant la Renaissance, et qui redevient à la mode au XIXe siècle.

Le peintre inconnu

L’un des mystères de La Folie Boulart est longtemps resté entier. À leur arrivée au château, les nouveaux propriétaires découvrent dans le grand salon un plafond peint qui n’est d’évidence pas d’origine. Au centre, une scène religieuse très « saint-sulpicienne » et anachronique, qui tranche avec les corniches et stucs dorés et polychromes de la pièce ; quatre cartouches l’entourent, recouverts d’une épaisse couleur de peinture bleu ciel…

Le délicat travail d’une restauratrice pour dégager les cartouches met progressivement au jour en juin 2017 quatre personnages de la mythologie inspirés de Théocrite, de Virgile ou d’Ovide. Les scènes qui présentent un usage innovateur de la couleur témoignent, chez leur créateur, d’une grande maîtrise du trait et d’une science de l’attitude juste.

Les personnages sont identifiables : Diane étendue s’abandonne au repos, la tête appuyée sur son carquois, ignorant qu’un chasseur, Actéon, petit-fils d’un dieu, la contemple dans son sommeil ; Endymion, pâtre dont Diane s’est éprise, charme par la mélodie de sa flûte, un chien à ses côtés, tandis qu’une nymphe de Diane, ou Diane elle-même, s’adonne au sommeil ; seule scène de mouvement parmi les quatre tableaux : Actéon, soudain conscient du sacrilège commis, manifeste sa terreur à l’idée du terrible châtiment qui le guette et lâche son poignard (il sera transformé en cerf et dévoré par ses chiens).

Le travail de restauration permet enfin de découvrir dans l’angle d’un cartouche, difficiles à décrypter, le prénom Tony et une initiale, un R ou un F.
Un long travail d’enquête s’ensuit avec ses aléas parfois inévitables – on a un temps attribué le plafond à Tony Robert-Fleury artiste renommé spécialisé en peinture mythologique de grand format – avant de pouvoir définitivement redonner la paternité du plafond du château Boulart au peintre Tony Faivre.
Né à Besançon en 1832, Tony Faivre a été élève à Paris dans l’atelier de Picot. Après un séjour de deux ans en Italie et en Russie, d’abord portraitiste et aquarelliste, il est médaillé en 1864 au Salon de Paris. Il s’oriente avec succès vers la peinture de décoration et, en 1869, l’État lui commande des plafonds pour les loges du Théâtre neuf de Compiègne, projets qui ne seront jamais mis en place mais sont conservés à Compiègne. Vers la fin des années 1870, il se spécialise dans les sujets historiques et mythologiques.

Le mystère du plafond du grand salon n’était pas totalement levé… Le sujet central restait inconnu jusqu’au jour où, en 2023, aux archives départementales des Landes, ont été exhumées des photos sur plaque de verre du château Boulart au moment de son édification. Et c’est ainsi qu’est apparue une scène magnifique et plutôt insolite dans un tel décor, du char de Séléné, déesse de la lune, tiré par des biches. Elle est accompagnée de nymphes revêtues de légers voiles, un amour bande son arc prêt à tirer une flèche, et une chouette s’envole. La signature « Tony Faivre 1881 » apparaît en clair. Cette création figure au catalogue du Salon de Paris en 1882 sous le titre « Phoebé ». Hélas, jusqu’à ce jour, il s’est avéré impossible de suivre son parcours après son démontage dans les années 1930.

Le sujet de ces scènes bucoliques pour le grand salon a dû combler Charles Boulart, passionné de nature et de chasse.

Les mosaïques d’un maître vénitien

La Folie Boulart est une demeure qui dégage une harmonie intérieure saisissante. Chaque élément décoratif y contribue et se conjugue aux autres parfaitement. Les mosaïques, par le chatoiement de leurs coloris et la richesse de leurs motifs, font écho au marbre des colonnes ou tranchent avec le marbre de Carrare. Plus de deux cent quatre-vingt-dix mètres carrés de mosaïques ornent le château, depuis le vestibule jusqu’au donjon.

Au milieu du XIXe siècle, un mosaïste domine tous les autres, le Vénitien Gian Domenico Facchina. Sa décoration de la loggia qui surplombe le grand escalier de l’Opéra de Paris étend sa réputation dans le monde. En 1848, il a apporté à ce métier d’art une innovation considérable, la « pose inversée » : la mosaïque n’est plus directement posée sur le site par l’artiste, mais d’abord montée à l’envers sur papier kraft puis expédiée pour la pose. Facchina ouvre une école à Venise puis un atelier à Paris ; et les manufactures que dirigent ses compagnons se multiplient à Bordeaux, Lille, Marseille, Orléans, Biarritz.

À travers le château, la diversité et le raffinement des motifs sont remarquables. Pièce maîtresse, le motif central de l’atrium qui dessine huit arcades évoquant des armoiries composées de feuilles d’acanthe et de sceptres enflammés s’accorde parfaitement avec les colonnes en sarrancolin d’Ilhet. Des médaillons aux volutes soulignées d’ombre entourent les grilles de chauffage, et une frise rouge et verte cernée de noir ceint l’atrium, rappelant des motifs romains.

Autre trésor : un tapis de fleurs sur le palier de l’escalier, au dessin et aux coloris très riches – vert, jaune et noir – met en valeur le monogramme B stylisé. Au centre de l’oratoire, un agneau souriant, symbole de Jésus-Christ dans l’iconographie chrétienne, se détache sur un semis à croisettes sur fond blanc. Une frise raffinée court au premier étage, et la salle en haut du donjon s’orne d’une fleur stylisée qu’entourent des arceaux à volutes. Partout une belle mosaïque blanche semée de croisettes noires et rouges complète ce décor subtil.

Sculptures, stucs et boiseries, un monde animé et coloré

À La Folie Boulart, dont l’architecture s’inspire fortement de la Renaissance, les façades, portes, frontons, cheminées ou corniches sont animés de personnages mythologiques, d’animaux fantastiques, de visages souriants ou grimaçants ; des têtes de lion, coquilles, fleurs, rameaux, cornes d’abondance s’intègrent au décor.

Les sculpteurs ont travaillé la pierre, le bois ou le marbre avec un très grand talent.
Le principal sculpteur intervenu au château est Émile Hamel. Il a œuvré pour la Faculté de Médecine de Bordeaux, mais il est surtout l’un des grands décorateurs de la Cour de Cassation pour laquelle Joseph Louis Duc et François Roux lui passent à la même époque de nombreuses commandes.

Des mascarons – des visages sculptés – apparaissent sur les façades, au-dessus des fenêtres ou des portes. Les toits sont éclairés de fenêtres à coquille. Dionysos, Hermès, le dieu Pan symbolisent la vie, la convivialité qui caractérisent l’hospitalité des maîtres du château.

Fantasmagoriques, des lions ailés sont sculptés dans le bois des portes, des sphinges surmontent des fenêtres, une tête de lion aux énormes crocs coiffe le fronton d’une porte.
Sculpteurs et stucateurs font assaut de talent pour les plafonds, les encadrements de cheminées, les portes en noyer ou en chêne. Les plafonds à caissons polychromes, exubérants, pourraient rivaliser avec ceux de la Cour de Cassation riches en or, et les teintes chaudes avivent la masse générale. Comme à l’Opéra où Charles Garnier a mis les couleurs à la mode.

C’est en faisant restaurer le château que les nouveaux propriétaires découvrent le plus bel ensemble sculpté de La Folie Boulart. Sur la façade nord, l’harmonieuse arcade en anse de panier qui domine le perron comportait de chaque côté, à l’emplacement de ce qu’on appelle des « écoinçons », deux étranges masses saillantes de béton. Le travail méticuleux et prudent qu’un tailleur de pierre a opéré pendant cent cinquante heures lui a permis de faire émerger de cette gangue deux élégantes sculptures de femmes qui épousent la courbe du porche ; porteuses d’une corne d’abondance, elles sont des allégories du printemps et de l’automne. Grâce à ce dévoilement, la façade a retrouvé sa majesté d’origine.